Mes très chers lecteurs,
C’est en l’an 2014 que je fis mes premiers pas, ou devrais-je dire mes premiers galops dans le royaume chatoyant des chevaux virtuels. Ô naïveté des débuts, douce époque où l’on attendait un pass comme on attendait la neige à Noël : avec ferveur, foi, et un soupçon de désespoir. Un pass par an, chéri comme un héritier unique, sacrifié en grande pompe sur l’autel d’un cheval légendaire. Ah, quelle époque…
Mais toute idylle finit par se heurter à l’impitoyable réalité. En 2018, ce fut la Révolution : l’économie du jeu fut balayée d’un revers de sabot par un système monétaire nouveau. Les pass, jadis denrées rares, tombèrent du ciel tels des confettis de carnaval grâce aux objectifs quotidiens. Le marché noir se mit à frémir, les ventes explosèrent, et moi, humble cavalière de l’ombre, je commençai enfin à gravir les marches du classement. Un frisson d’ambition me saisit : j’achetai les chevaux pour la compétition.
Puis vint 2022. Mon année ! Ma gloire ! Mon règne, puis-je dire. J’avais économisé, calculé, stratégiquement investi... Hélas, tout sauf le Grand Prix m’ouvrit ses bras. Ce dernier restait, fidèle à lui-même, inaccessible, perché tel un aristocrate hautain regardant les gueux depuis son balcon en marbre.
Alors, dans une tentative d’ascension sociale, je fis l’impensable : je rejoignis une équipe. Quelle naïveté ! L’offre semblait alléchante, pleine de promesses murmurées dans l’ombre comme une alliance entre duchesses : du pouvoir, du prestige, et surtout, des chevaux. Il fallait simplement « blupper » des chevaux pour les revendre à la chaîne. Facile, me diriez ? Oui, facile... jusqu’à ce que je me retrouve à court de bras de Morphée, de points de vieillissement et, accessoirement, de vie tout court.
La suite ? Une expulsion aussi rapide qu’inélégante. À peine avais-je rendu les chevaux qu’on me remercia… sans remerciement. J’adresse donc ici toute ma gratitude à celle ou celui qui, sans une once de politesse ni d’humanité, m’a permis de découvrir l’envers du décor : une noblesse élitiste, jalousement installée dans les classements, pratiquant l’entre-soi comme un art de vivre. Une vraie cour de Versailles, sans les perruques mais avec la même amabilité.
Depuis, une amertume me tient compagnie. J’arpente les ventes comme un brocanteur désabusé, à la recherche de quelque licorne oubliée, de quelque perle à prix cassé. Mais la vérité est là : les meilleurs chevaux ne sont plus à vendre. Ils sont transmis en circuit fermé, conservés jalousement. Les autres ? Des suiveurs, des faire-valoir, des figurants de podiums.
La compétition, jadis noble et incertaine, est devenue prévisible. Où est passée la part de chance ? L’adrénaline du coup de théâtre ? Aujourd’hui, l’issue est écrite à l’avance, comme une mauvaise série où l’on devine la fin du premier épisode.